Taubira… Ce nom porte des consonances différentes pour chaque personne vivant en France, mais il est rarement inconnu. Il évoque souvent une loi, celle de 2013, qui a valu à son auteure les insultes les plus féroces d’une grande part de la population et du personnel politique mais aussi le sincère respect d’une autre part de la population, probablement plus nombreuse encore. Mais pourquoi une personnalité aussi importante dans le paysage politique français vient-elle ici, à Chicago, dans un pays dans lequel son nom ne suscite le plus souvent ni la colère ni le respect tant il n’est que rarement prononcé ?
Ma question peut paraitre naïve. Il suffit de se rendre sur le site de l’Alliance pour connaitre le motif de sa visite : parler du livre de Ta-Nehisi Coates – Le procès de l’Amérique – et de la préface qu’elle a rédigée. Pour elle, un tel livre est nécessaire afin de revenir sur les traumatismes de nos sociétés, en l’occurrence le crime de l’esclavage, et d’en parler pour espérer les guérir. Elle l’écrit : « Nous savons que nous n’avons pas d’autre choix que de rester ensemble, qu’il faut pour cela nous mettre ensemble, et la condition est de porter ensemble [ce passé]». Mais je me suis encore demandé en quoi son regard d’ancienne ministre de la justice et de femme engagée dans la société française peut nous intéresser lorsqu’il s’agit de l’Amérique ?
Si je lui posais directement la question, sa réponse serait plus simple et surement meilleure. Mais pour cela, il faudra attendre le 26 octobre…Pour patienter, voici quelques pistes :
D’abord, Christiane Taubira, ce n’est pas l’homme politique classique à la française, né en région parisienne, sortie des grandes écoles et ayant milité dans un des partis politiques « traditionnels ». Comme vous ne manquerez pas de le remarquer, elle est une femme. Ensuite, son intérêt pour ce qui se passe de ce côté-ci de l’Atlantique n’a rien de mystérieux : elle est née à Cayenne, en Guyane et a milité au sein de mouvements demandant l’indépendance de ce territoire – ancienne colonie – vis-à-vis de la métropole avant de fonder son propre parti, le mouvement Walwari. Mme Taubira a ainsi porté et partagé une des ambitions fondatrices des Etats-Unis, la volonté de rompre un lien de dépendance entre un pays européen et un territoire américain.
Ensuite, outre sa candidature à l’élection présidentielle de 2002, Christiane Taubira est connue pour deux lois et un refus… trois éléments de son parcours qui font largement écho aux débats ayant agités les Etats-Unis durant les 20 dernières années. Commençons par ce dernier élément. De quel refus parle-t-on ? Je parle ici du refus de cautionner certaines mesures ayant fait suite aux attentats qui ont secoué la France en 2015. Le 27 janvier 2016, alors ministre de la Justice depuis 2012, Christiane Taubira démissionne du gouvernement en grande partie par opposition à la volonté du chef de l’Etat de déchoir de la nationalité française les individus accusés d’avoir participé à des attentats terroristes. Selon elle – elle l’explique dans Murmures à la jeunesse –, « un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux ».
Venons-en aux deux lois Taubira. Celle de 2013, dont je parlais au début de ce petit article, ouvre le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe. La vigueur des débats et des manifestations de soutien ou d’opposition à ce texte fait écho à ceux ayant traversé la plupart des Etats des Etats-Unis, et en particulier l’Illinois, à la même période. Mais la première loi Taubira, celle de 2001, a, à mes yeux, encore plus de résonnance dans le contexte américain. Il s’agit de la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. La place de l’esclavage dans l’histoire de la France est peut-être, en apparence, moins sensible que dans l’histoire des États-Unis. Mais une des personnes les plus aptes à évoquer ces blessures encore vives dans nos deux pays est sans doute celle qui, le 18 février 1999 à l’Assemblée Nationale, a prononcé ces mots :
« Nous sommes là pour dire que si l’Afrique s’enlise dans le non-développement, c’est aussi parce que des générations de ses fils et de ses filles lui ont été arrachées (…). Nous sommes là pour dire que la traite et l’esclavage furent et sont un crime contre l’humanité (…). ».
Maël Ginsburger
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